WALK THE LINE JOHANN RIVAT

01 | 03 | 12

 

WALK THE LINE

Johann Rivat

11 février au 20 avril 2012.

« Organiser une exposition […] implique nécessairement la prise en considération de certains critères. La pertinence du thème retenu, son caractère inédit ou, dans le cas d’une thématique déjà traitée, la capacité d’en renouveler la lecture comptent naturellement parmi les premiers. D’autres sont aussi à prendre en considération qui touchent l’institution où elle est présentée. L’histoire du lieu, la nature des collections qui y sont conservées ou encore les expositions antérieures qui y furent organisées ou celles, à venir, qui font partie de la programmation complètent l’inventaire des données qui permettent de justifier les choix. »[1]

En Janvier 1970, sous l’impulsion de Sylvie Boissonnas, le Centre d’Art de Flaine ouvre ses portes. Durant 25 ans, environ 70 expositions présentent les œuvres de Max Ernst, Pablo Picasso, Jean Dubuffet, Hervé Di Rosa, Sophie Calle, Pol Bury, Gloria Friedmann, Simon Hantaï et d’autres

Pour autant, dans ce lieu d’expositions se pose la question de l'accrochage du médium « peinture », celle-ci ayant dépassé le cadre de la toile pour diverses raisons et dans de multiples directions. L'exposition Peintures sans châssis[2] du groupe Supports/Surfaces durant l'été 1976 à Flaine répondait déjà à cette problématique, aussi l'invitation faite à Johann Rivat tente d’apporter une nouvelle couche de béton à l’édifice.

La peinture de Johann Rivat, s'inscrit donc dans une histoire de Flaine tout autant que dans une histoire de l’art et c'est en cela qu'il suit la ligne tout en marchant droit (Because you’re mine, I Walk the Line[3]). Conscient de cette inscription inéluctable dans un processus de recherche sur la peinture, son intervention flainoise fait l’écho entre les falaises enneigées, le béton des bâtiments et les productions artistiques représentées par la toile de Simon Hantaï et quelques publications des expositions passées. Dans ce ricochet perpétuel s'immisce un dialogue visuel sans comparaison ni arrogance mais proposant une forme d'état des lieux.

Ce dialogue est silencieux. Silencieux comme ce qui se joue dans ses toiles. Silencieux comme une parole muette dont le langage est l'image. Les animaux se taisent et pourtant nous les entendons hurler. Les bâtiments se voilent dans un mutisme qui les rend visible. De même, libérée de la présence humaine, la nature garde les stigmates d'un passage que nous devons sans cesse reconstruire. Johann Rivat compose des scènes dont l’étrangeté provient d’une absence qu’il voile et dévoile à coup de flocons de neige ou de plantes proliférantes, comme on frapperait les douze coups du brigadier plusieurs minutes après le début ou comme on ouvrirait un film par un carton disant « Deux semaines après ». C’est ce même rapport au temps, celui d’un entre-deux, du récit pris en son milieu, de l’Histoire qui se réécrit toujours de différentes manières que cette peinture questionne. La piste sur laquelle nous voyageons ouvre une nouvelle option à chaque fois que notre regard se pose sur une nouvelle expérience. C’est ainsi que se redéfinit notre vision du monde et donc notre manière d’interagir avec celui-ci.

Et puis, devant la dramaturgie de la scène, un regardeur qui reste sans voix car il est tout autant happé par le récit muet que par l'objet. Ses dimensions, l'importance de la matière picturale qui se fond puis se charge et enfin coule vers le sol, les bords du châssis qui restent apparents, tout est là pour que le spectateur ne se sente pas dupé alors même qu’il est emporté. Parfois, la peinture se fait seule, aléatoirement, dans une profondeur du geste et une forme d’effacement de la pensée, c'est-à-dire dans une fusion proche du « no mind » de la pensée zen. Toujours, il existe dans ses œuvres une sincérité de l'objet qui vient non pas desservir l'impact de l'œuvre mais la nourrir de son authenticité car Johann Rivat marche droit.

Il en est de même avec les fenêtres et les vitrines voilées de matière picturale. Celles-ci, tout en jouant de l’extérieur avec la disparition du béton dans la neige, viennent réévaluer l’intervention architecturale de la même manière que les vitraux abstraits de la Cathédrale Notre Dame de la Consolation du Raincy de Marguerite Huré venaient renforcer l’aspect minérale du matériau. La cohabitation de toutes ces matérialisations picturales, la mise sur un plan d’égalité de peinture dite «traditionnelle» sur toile et de bâches de protection, d’outils (chiffons, bâtons, etc.), et autres extensions de la pratique, sont une tentative de définir une pratique picturale ainsi que la relation de l’homme face son activité dans un processus de recherche, dans un cheminement sinueux ou le seul qui « Walk the line » est Johann Rivat.

 

Anthony Lenoir – Février 2012

 

La Galerie française de Johann Rivat

 

[1]    in Les années 70 : l’art en cause, Catalogue d’exposition, Textes de Maurice Fréchuret, Paris, capcMusée d’art contemporain de Bordeaux ; Réunion des musées nationaux, 2002, p.7.

[2]    Peintures sans châssis, exposition collective avec Noël Dolla, Vivien Isnard, Christian Jaccard, Jean-Pierre Pincemin, Patrick Saytour, André Valensi, Claude Viallat au Centre d'art de Flaine, 1976.

[3]    Johnny Cash (Composition et paroles de), I walk the line, Sun records, 1956.

 

 

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