DÉSYNCHRONISME Lionel RENCK

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« DÉSYNCHRONISME »

Lionel RENCK

2 mars au 30 avril 2011

 

Tremblements, rigidité des membres, difficulté à se mouvoir, le diagnostique est clair : Vous venez de déchausser après une longue journée de ski. Un bon bain, un chocolat chaud, et hop au resto !

Mais attention car tous ces symptômes pourraient bien être représentatifs d’une dégénérescence de votre substance noire causée par une anomalie génétique, autrement appelée : Maladie de Parkinson. Découverte en 1817 par James Parkinson, elle est ensuite étudiée par de nombreux spécialistes dont les conclusions sont encore attendues mais dont les premiers éléments tombent dans les années 1960. Ils expliquent que les patients atteints de cette maladie souffrent d’un manque de dopamine qui est un neurotransmetteur produit au sein même du cerveau et qui est le précurseur de l’adrénaline. Se pose dès lors une question essentielle pour nous tous : Pourquoi continuer à skier sans adrénaline ?

La science ne trouvant pas de réponse sportive plausible à cette interrogation, elle a préféré chercher une solution médicale. Après de nombreuses années de recherches en laboratoire et de multiples expériences, une équipe française, originaire de Grenoble, a découvert que ce dysfonctionnement provenait, chez les parkinsoniens, d’une synchronisation trop importante des neurones. L’une des solutions proposée est apparue dans les années 1980. Il s’agit, après une intervention d’une dizaine d’heures, d’implanter une ou deux électrodes dans les noyaux cibles du cerveau, afin de les désynchroniser par des impulsions électriques de hautes fréquences. Les patients traités recouvrent alors leurs facultés, perdant les symptômes de tremblement, et autres anomalies.

Lionel Renck propose ici une alternative moins couteuse et certainement moins dangereuse : l’art. Chaque installation devient une véritable impulsion électrique qui bouleverse nos actions et fait l’effet d’une « stimulation cérébrale profonde »[1].

Notre cerveau est tout d’abord happé par ce poisson qui lévite entre deux blocs de béton. Sorte de carottage permettant la découverte de ce fossile, il propose une archéologie de la montagne qui vient faire écho aux bâtiments de Marcel Breuer.

Par la création d'un paysage fabriqué de diverses séquences vidéo, Chantier d'idées enrichie cette thèse d'une intervention chirurgicale sur la station et ses habitants. Par le biais d'un cylindre monolithique, notre regard est baladé dans une procession d'images qui semble contenir les objets dont l’usage est incertain mais composent l'exposition.

 

Toutes ces installations viennent perturber l’espace d’exposition et par la même, l'expérience du spectateur. Le mur de moules vient occulter l’un des éléments essentiels qu’est la vitrine. Il fait dès lors trembler l’architecture de béton ainsi que le carrelage du lieu, par son aspect organique tout comme par le son qui semble se propager de la vitre. C'est en acceptant de passer de l'autre côté de celle-ci que l’arrachement successif des balles donne vie à cette pièce.

A l'écart, des flashs réguliers emplissent l'exposition faisant directement échos aux électrochocs qui doivent suppléer la substance noire mais ici, s'ils ne calment pas les tremblements, ils laissent apparaître par intermittence un vélo qui paraît nourrit d’une étrangeté toute particulière. Notre cerveau nous ferait-il défaut ?

Les pièces de Lionel Renck sont de véritables stimulations sensibles susceptibles de nous désynchroniser et de nous ramener à une normale. Par une déstabilisation de notre environnement familier (les roues d’un vélo suspendu fabriquent l'image d'un ruban de Möbius), de nos connaissances scientifiques (un poisson flotte au centre d’une colonne de béton), de notre perception des images (les aquarelles inspirées de Gustave Courbet se développent petit à petit dans l'espace créant une virtualité réelle), il réintègre une dose de réalité, de normalité sensible et diminue les effets d’une station de ski comme celle de Flaine, tout en mettant en lumière les enjeux d’un centre culturel.

 

Anthony Lenoir (mars 2011)

 

 

[1] Technique chirurgicale mise au point par le professeur Alim Louis Benabid et son équipe en 1993.

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